"Je conseille aux cavaliers de fermer les yeux pour sentir leur cheval, et souffler avec lui", Verity Smith
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"Je conseille aux cavaliers de fermer les yeux pour sentir leur cheval, et souffler avec lui", Verity Smith

Le récit d'une cavalière qui a fait du handicap une force

Verity Smith est cavalière de dressage internationale depuis 2019. Elle est installée à Nîmes depuis 11 ans, avec sa jument Daisy de Nîmes. Non-voyante depuis l’adolescence, la cavalière franco-britannique a su faire de sa particularité une force. Zoom sur une vie de cavalière riche d’enseignements à l’occasion de la Journée Internationale des Personnes Handicapées, samedi 3 décembre.


Qui es-tu, Verity ?


Je m’appelle Verity Smith, et je suis cavalière internationale de dressage. Je suis née en Angleterre, et j'ai la double nationalité française et anglaise depuis que mes parents ont emménagé à Nîmes, il y a maintenant 30 ans. Je suis non-voyante depuis mes 12 ans. Et depuis, j’essaye de sensibiliser le maximum de monde au sujet du handicap, en prouvant que si on travaille ensemble, on peut rendre l’impossible possible. Ma petite famille se compose de Daisy, ma jument et Luna, ma chienne. Ce sont mes compagnons de route, je ne les quitte jamais.

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Peux-tu présenter ton cheval ?


Daisy a 13 ans et elle toise 1m73. Je l’ai eu en Suède en 2018. Elle a un fort caractère : pour faire quelque chose, je ne dois pas la commander, je dois lui demander. Mais elle me donne beaucoup, elle est très intelligente. J’ai un rapport très particulier avec elle, je fonctionne beaucoup avec le toucher, pour sentir ses émotions. Et Daisy a bien compris que je ne voyais pas, elle cherche toujours le contact avec moi. Bref... c'est le grand amour entre nous !  

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Peux-tu en dire plus sur ton handicap ?


A mes 5 ans, on m'a découvert une encéphalite, qui m'a plongé dans le coma durant plusieurs mois. Je m'en suis sortie sans séquelles apparentes, mais quelques années plus tard, j'ai commencé à perdre la vue. Et par chance, j'ai perdu la vue graduellement, ce qui m'a permis de m'adapter progressivement. A l'âge de 12 ans, j’étais complètement aveugle.

Comment cette cécité a impacté ta vie ?


A cet âge là, mon rêve était de devenir cavalière professionnelle de saut d’obstacles. J’ai continué à sauter jusqu’à mes 14 ans, je sortais même sur des épreuves à 1m30, mais honnêtement c’était très dangereux. J’ai dû rapidement arrêter. Mais même en étant non-voyante, pas question de mettre de côté l'équitation ! Je voulais trouver une discipline dans laquelle je pouvais concourir avec des personnes "valides" au même niveau. C'est à ce moment là que j'ai découvert le dressage.

Comment as-tu vécu ce changement de discipline ?


Ça a été un grand choc ! L'arrogance de mon jeune âge me faisait penser que j’allais y arriver du premier coup et que c'était "facile". Jusqu'au jour où j’ai rencontré Ann Carlen, ma première entraineuse. Elle m’a enseigné quelques techniques qui ont révolutionné ma façon de monter : fini les étriers et les rênes.

Elle me tenait en longe, et me faisait faire des galops-arrêts avec mon bassin. On a fait ça pendant des mois, c’était très intensif. Ann était très créative, elle accrochait aussi des élastiques autour de mes poignets et me faisait tenir deux verres remplis d'eau dans les mains. Le but était que je parvienne à faire des séances entières sans perdre d’eau. Et quand j’ai eu réussi cette étape, j'ai récupéré mes rênes et étriers, et seulement là on a commencé à travailler sur le dressage. 

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Quelles techniques as-tu utilisées pour apprendre les figures de dressage sans les "voir" ?


Je n’avais jamais regardé de dressage à ce niveau car, quand j’étais jeune j’étais obsédée par le saut d’obstacles. Par exemple, je n’ai jamais vu à quoi ressemblait une pirouette de ma vie. Alors, on a dû trouver d'autres méthodes pour que j'apprenne les figures. Tout d'abord, Ann Carlen dessinait avec son doigt sur ma jambe les figures des reprises, puis on reproduisait à pied les figures. Ensuite, elle m’a appris à ressentir la souplesse du cheval. Elle me disait qu’en montant mon cheval, je devais avoir la sensation de gravir un escalier en spirale. Ça m'as vraiment enseigné la bio-mécanique du cheval. Et pour l'anecdote, Ann a, plus tard, réutilisé son expérience avec moi pour expliquer à des cavaliers l'intérêt de fermer les yeux à cheval pour bien ressentir les mouvements. 

Tes coachs, sont-ils habitués à entraîner des personnes non-voyantes ?


Pas du tout ! Et c'est ce que j’aime, travailler avec des coachs qui n’ont jamais entrainé de cavaliers non-voyants. Tout simplement parce qu'ils ne font pas de différence, ils ne me laissent rien passer et m’entrainent comme n’importe quel cavalier. Parfois, mon entraineur actuel Alain Franqueville oublie que je ne vois pas. Il lui arrive de me disputer quand je ne fais pas les coins par exemple, mais je lui rappelle que je ne peux pas les voir, les coins ! (Rires) 


Comment se déroulent tes sorties en compétition ?


Elles se passent très bien ! J'ai l'avantage de ne pas voir les éléments qui pourraient effrayer mon cheval en concours, donc je ne le stresse pas. Je suis vraiment concentrée sur lui et le moment présent. De plus, grâce à la FEI, je suis systématiquement accompagnée sur le carré d’une équipe de 10 personnes qui me crient les lettres de la carrière. Et ça fonctionne très bien ! J’ai une équipe en Suède, une en France et une en Angleterre. 

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Quel effet cela te fait lorsque tu te retrouves sur le podium aux côtés de cavaliers "voyants" ?


Je ressens une grande fierté ! C'est dans ces moments là que je peux montrer que tout est possible, avec du travail et de la concentration. C'est vraiment le symbole de l’inclusion. Et c'est aussi une manière de remercier toutes les personnes qui travaillent avec moi au quotidien et qui me permettent d’être une gagnante. D'ailleurs, les autres cavaliers tentent souvent de savoir comment je fais pour obtenir des résultats sans la vue, et je leur conseille toujours de fermer les yeux pour sentir leur cheval, et souffler avec lui. 

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Les JO 2024, c'est un rêve ?


Oui, bien-sûr ! Mais Daisy étant blessée, je ne sais pas si je pourrai y participer avec elle. C’est important que l’année prochaine, on revienne en force pour faire une bonne saison. Je serais très fière de représenter la France avec elle. Je croise les doigts.